Les scientifiques sont souvent interrogés sur leur « moment eurêka », cet éclair de génie qui mène à une découverte. Parfois, ces moments sont rendus possibles par une réalité beaucoup plus banale : le fait de disposer du bon outil ou de la bonne méthode pour favoriser les idées inattendues et permettre leur exploration.
Alors, que se passe-t-il lorsqu’un domaine de recherche est nouveau et qu’il y a encore un manque d’efficacité des méthodes et des outils?
Un tel domaine prometteur est celui de la détection par nanopores, qui utilise de minuscules trous dans de fines membranes afin de capter des biomolécules individuelles, comme des brins d’ADN, et de transformer l’information sur ces molécules en signaux électriques. Cela donne aux chercheurs des analyses sans précédent sur l’identité et le comportement des minuscules molécules qui composent le vivant.
« La mesure purement électrique engendrée par les nanopores permet de comprendre les biomolécules selon un tout nouveau point de vue fascinant », souligne Kyle Briggs, chercheur postdoctoral et innovateur en matière de nanopores au département de physique de l’Université d’Ottawa. « Il s’agit d’une façon différente de mesurer, comparativement par exemple au moyen d’un microscope optique. On peut ainsi observer directement et à haute résolution l’identité et le comportement d’une molécule, sans devoir ajouter des étiquettes. »
Mais jusqu’à tout récemment, le potentiel de la recherche sur la détection par nanopores était limité par la capacité à créer les minuscules trous nécessaire pour effectuer de telles mesures. Historiquement, indique Briggs, les chercheurs fabriquaient ces pores au moyen de rayons énergétiques de particules qui se trouvent dans les microscopes à faisceau d’ions focalisés et les microscopes électroniques à transmission : un processus exigeant, coûteux et long qui demandait des habiletés avancées en nanofabrication. « Seules les universités bien financées disposent de ces outils coûteux et sophistiqués. Souvent, les chercheurs doivent se déplacer pour avoir accès à ceux-ci ou partager l’équipement avec plusieurs autres équipes. Il s’agit donc d’une importante difficulté pour participer à ce domaine. »
Briggs explore les difficultés de la fabrication de nanopores depuis ses études de premier cycle avec le professeur Vincent Tabard-Cossa, chercheur pionnier dans le domaine. « L’idée de fabriquer ces pores venait tout juste d’être mise à l’épreuve, et j’ai passé mon premier été dans le laboratoire Tabard-Cossa à explorer la manière de contrôler la méthode et de la rendre utile. C’était clair dès le début que nous étions sur la piste de quelque chose d’important. »
« CMC va jouer un rôle essentiel pour permettre la commercialisation de cette technologie. »
Aujourd’hui, ses travaux avec le professeur Tabard-Cossa et les collègues de son laboratoire ont mené à une nouvelle méthode de claquage contrôlé pour fabriquer des nanopores à l’état solide, ainsi qu’un petit outil pour les fabriquer d’une manière plus rapide, simple et économique. « Plutôt que de percer manuellement chaque trou, nous avons intégré et automatisé tout le processus dans un instrument de table », explique Briggs. « Cela élimine plusieurs des difficultés en matière de coût, de formation et de facilité d’utilisation, tout en permettant de fabriquer des pores de l’ordre du nanomètre avec une précision de l’ordre de l’angström : un niveau qui n’était pas possible avec les méthodes précédentes. »
« Nous espérons qu’en donnant aux gens l’accès à ces outils, nous pourrons accélérer les progrès dans le domaine des nanopores. »
La science des nanopores est un domaine stimulant en raison de ses applications en diagnostic numérique, notamment en raison de la détection des maladies très sensible permettant un dépistage rapide et un meilleur pronostic. Une autre application prometteuse est le stockage de données de nouvelle génération. « La densité de stockage de données dans de l’ADN est des millions de fois plus élevée que celle d’un disque dur », souligne Briggs. « En principe, il serait envisageable de stocker Internet au complet dans l’ADN d’une seule personne. C’était du moins le cas il y a environ un an. Internet connaît une croissance si rapide qu’il est essentiel d’anticiper les types de problèmes que la méthode de stockage d’information pourrait aider à résoudre. »
« Il existe de nombreux domaines où les nanopores peuvent s’avérer utiles, en fait, dès qu’un processus biomoléculaire requiert une caractérisation. Cela dépasse de loin l’ensemble existant des recherches en nanopores et couvre des domaines comme le génie biomédical ainsi que la biologie moléculaire et synthétique », ajoute Briggs. « Nous espérons vivement pouvoir rendre les nanopores accessibles et faciles à utiliser, afin de permettre à un éventail plus large de scientifiques de commencer à explorer ce potentiel et de susciter de nouvelles idées afin de s’attaquer aux défis qui demeurent. »
Le travail du duo a engendré 15 publications et 7 brevets. Il est accordé sous licence dans l’industrie, où la technique de claquage contrôlé est en voie de devenir la référence par excellence en matière de fabrication de nanopores à l’état solide. De plus, Briggs a démarré sa propre entreprise, Northern Nanopore Instruments, avec l’objectif de commercialiser sa technologie.
En reconnaissance de ses contributions, Briggs a reçu de CMC Microsystèmes la médaille Douglas R. Colton 2020 pour l’excellence dans la recherche. « CMC m’a vraiment été très utile pour emprunter la voie du démarrage d’entreprise », souligne-t-il. « Dès le début, CMC m’a aidé à tisser des liens qui pourraient s’avérer très précieux au cours de notre croissance. CMC va jouer un rôle essentiel pour permettre la commercialisation de cette technologie. »
Photo : Gracieuseté de : Kyle Briggs
mai 2021